Se souvenir d’une ville

 

De 1992 à 1996 ,cinq jeunes ont filmé leur ville, Sarajevo. Ils se questionnent sur le sens de ces images d’alors.

Le siège de Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, a duré quatre interminables années sous les bombardements incessant de l’armée serbe. D’avril 1992 à février 1996, les habitants ont vécu dans le chaos de leur ville assiégée, avec des coupures d’eau, d’électricité, sans nourriture, au milieu des tirs de snipers et des corps déchiquetés. Sur le front, les soldats mobilisés se battaient, engourdis sous la neige, parfois désœuvrés, rêvant d’une permission pour retrouver leur famille. Troquant1 kilo de sucre contre une petite caméra, se débrouillant on ne sait comment pour récupérer des cassettes VHS, cinq jeunes réalisateurs (âgés de 16 à 25 ans) ont commencé à filmer spontanément ce qu’ils vivaient, sans scénario préconçu, obsédés par le besoin d’enregistrer le réel, de consigner cette guerre sans fin.

Trente ans plus tard, ces cinq hommes – Nedim Alikadić, Smail Kapetanović, Dino Mustafić, Nebojsa Šerić-Shoba et Srdan Vuletić – reviennent physiquement sur les lieux où ils ont vécu le siège de Sarajevo. Dans Se souvenir d'une ville, sous le regard du documentariste Jean-Gabriel Périot - Retour à Reims [Fragments] -, ils revisionnent, sur une tablette, les images qu’ils ont tournées trois décennies plus tôt. Ils retrouvent l’ancienne ligne de front, ou l’emplacement de leurs immeubles et appartements jadis dévastés, s’interrogent sur les raisons qui les ont poussés à se saisir d’une caméra, sous les balles et les tirs d’obus. Entre geste de survie et acte de résistance, dans une Fédération yougoslave en pleine dislocation, leur discours, aujourd’hui apaisé, avec des pointes d’humour, reste marqué par ce conflit. Dans les esprits, « la guerre perdure… »,confie l’un d’eux. Un film-mémoire troublant, qui dresse immanquablement des passerelles avec la situation actuelle en Ukraine et à Gaza.

 

Emmanuelle Skyvington
Télérama
13 novembre 2024